samedi 7 septembre 2013

La rentrée des classes au LFM... pour quels élèves ?!

Point de vue 

de Dimitri Nicolaïdis


Davantage de familles en difficulté financière, des bourses moins généreuses pour les plus précaires, des frais de scolarité en hausse... Crise oblige, le public du LFM ne risque-t-il pas de s'homogénéiser socialement encore davantage ? 



C'est la rentrée des classes, et nous retrouvons, ou découvrons pour les nouveaux arrivés, notre établissement, nos collègues, nos emplois du temps, nos classes, nos élèves. Eventuellement, nous constatons que le nombre de classes dans le secondaire à quelque peu diminué, et qu'il y a aussi quelques déperditions au niveau du primaire. Mais déjà la routine reprend, et nous sommes déjà tous accaparés par nos tâches pédagogiques et le souci de donner le meilleur de nous-mêmes à nos élèves. Une fois n'est pas coutume, j'aimerais pourtant parler de ces élèves du Lycée français de Madrid, et de leurs parents qui ont choisi cette éducation pour leur(s) enfant(s), parfois au prix de lourds sacrifices dans un contexte de crise économique languissante.

Il faut en effet pouvoir payer des frais de scolarité en constante augmentation au LFM (entre 3 et 5,5 % d'augmentation par an ces trois dernières années) et qui, cette pour 2013-14, oscillent entre 4671 € pour les maternelles et 5343 € pour les lycéens, à quoi il faut ajouter éventuellement 1300 € de droits de 1ère inscription ainsi que les frais de la demi-pension (430 € pour le 1er trimestre, ou 7,20 € par repas). On comprend bien, dans ces conditions (voir ici le détail des tarifs), que les familles de nos élèves aient souvent les moyens financiers de mettre leur(s) enfant(s) dans ce système hybride où les établissements sont certes gérés parfois directement, comme dans le cas du LFM, par l'AEFE, organisme public sous la tutelle du ministère des affaires étrangères, mais où la gestion des élèves ressort davantage du système privé.  

Pourtant, il existe aussi beaucoup de parents pour lesquels ce choix assumé du LFM grève lourdement le budget familial, d'autres qui, crise oblige, ont vu leur situation financière se détériorer brusquement... Certains choisissent en toute discrétion durant l'été de retirer leur enfant du LFM, ou parfois juste le dernier arrivé, ou encore retardent l'entrée du petit dernier en maternelle ; d'autres accumulent les retards de paiement et prennent le risque d'une exclusion comme l'a illustré l'année passée l'affaire de cet élève de 4e qui pendant plus de deux semaines après les vacances de février a été exclu du LFM avant qu'un accord financier ne permette enfin sa réintégration. Cet épisode avait suscité à juste raison un certain émoi parmi les enseignants du secondaire et au-delà, en particulier du fait des modalités très discutables de cette décision et de l'absence d'information/de consultation en direction de l'équipe enseignante. Mais cette affaire n'est que l'arbre qui cache la forêt, et faut-il que nous détournions le regard sous prétexte que nous ne sommes pas au courant des difficultés financières de certaines familles, et que, diront certains, ces questions finalement ne nous regardent pas vraiment ? 

Alors pour ceux qui pensent que, y compris pour ces questions, la transparence devrait être de mise, voici quelques éléments qui permettent d'y voir un peu plus clair. Tout d'abord, il est important de distinguer la situation des élèves de nationalité française de celle des autres élèves, en particulier des Espagnols qui représentent tout de même l'essentiel de notre "clientèle". 
En effet, les familles des premiers ont un avantage indéniable sur celles des seconds dans la mesure où elles peuvent bénéficier de bourses à la scolarité (à l'exception des enseignants français qui sont défavorisés dans l'accès aux bourses pour leurs enfants car l'avantage familial qui permet de couvrir les frais de scolarité est pris en compte dans le calcul des revenus). Passons sur le fait que, malgré l'obligation faite à l'AEFE de scolariser les enfants français dans les établissements à gestion directe (EGD) à l'étranger (voir le rappel du sénateur Jean-Yves Leconte ici), ces derniers n'ont pas les moyens ni toujours la volonté de respecter cette obligation. 
Quant au système des bourses, il a été profondément réformé en 2012, et les commissions des bourses qui se sont réunies avant l'été ont travaillé dans le cadre du nouveau dispositif. L'intention de la nouvelle ministre déléguée chargée des Français de l'étranger, Mme Hélène Conway, était plutôt louable, puisqu'il s'agissait de "refonder les critères d’attribution des bourses" afin de "d’ouvrir le système d’aides à la scolarisation à davantage de familles, en priorité aux familles aux revenus moyens, de mieux l’adapter aux réalités locales et de corriger les défauts du système actuel", mais tout ceci... à budget constant (voir ici son discours du 7 septembre 2012 dont un large passage est consacré à la scolarisation des enfants français à l'étranger). Or, le bilan est plus que décevant. Ce que j'ai pu observer en tant que représentant syndical siégeant au sein de la commission locale des bourses qui s'est réunie du 3 au 5 juin 2013, c'est que dans l'ensemble les nouveaux modes de calcul ont conduit à diminuer très souvent le montant des bourses, parfois de façon très significative et même lorsque les revenus baissaient. Or, cette diminution des montants n'a pas été vraiment compensée par une augmentation du nombre des bénéficiaires, comme annoncée par la ministre. Face à des situations vraiment dramatiques, la commission a dû parfois remonter la quotité de la bourse attribuée, y compris jusqu'au 100 % dont bénéficiaient ces familles les années précédentes. Ce sont en particulier les familles monoparentales qui ont eu le plus à souffrir de la nouvelle réforme. Au final, alors que le nombre de dossiers présentés par les familles a augmenté de près de 6 % en Espagne, le nombre de boursiers a baissé de 4,6 %, passant de 1310 à 1249 bénéficiaires, tandis que la quotité moyenne des bourses passait de 78,5 à à 69,7 %. Et celle-ci risque de s'effondrer encore l'année prochaine lorsque le système de pondération mise en place cette année disparaîtra. Les membres de la commission pour l'Espagne ont exprimé leur crainte de voir un nombre croissant d'élèves français déscolarisés en conséquence de cette baisse quasi systématique du montant des bourses. La seconde commission des bourses devrait se réunir très prochainement, mais sans qu'on puisse attendre de corrections significatives des tendances observées.

Evidemment, pour les enfants espagnols et, plus largement, qui ne sont pas de nationalité française, il n'existe pas de système d'aide à la scolarité, si ce n'est à travers la caisse de solidarité co-gérée par les services financiers du LFM et les associations de parents d'élèves, et qui est de plus en plus sollicitée. Afin d'éviter que des situations d'impayés aboutissent à l'exclusion d'élèves comme ce fut le cas en février dernier, j'avais alors demandé qu'une commission tripartite, réunissant l'administration, les parents d'élèves et les enseignants, soient mises en place pour faciliter la recherche de solutions le plus en amont possible. A défaut, M. le directeur administratif et financier (l'intendant en langage courant) a organisé le 4 juin dernier une réunion d'information sur les quelques cas de familles en situation d'impayés depuis parfois plus d'un an.


Outre le fait que le Lycée français de Madrid — tout comme ses personnels qui sont directement ou indirectement payés grâce aux contributions des familles — n'a pas intérêt à voir ses effectifs d'élèves baisser (ce qui n'a pas été encore le cas cette année), pourquoi devrions-nous nous sentir concernés par le sort de ces familles en difficulté financière ? Bien sûr, lorsqu'on connaît certains de ces élèves, on peut facilement imaginer ce que ces derniers peuvent ressentir lorsqu'il leur faut renoncer à poursuivre leur scolarité dans un établissement qu'ils ont fréquenté parfois depuis de nombreuses années. Mais au-delà du sentiment de compassion, on peut tout simplement penser qu'il y va de l'intérêt de la communauté scolaire du LFM de préserver, voire de favoriser une relative diversité sociale au sein de notre public scolaire. Cette ambition ne participe-t-elle pas d'ailleurs de notre volonté d'élargir l'horizon culturel de nos élèves ? 
De ce point de vue, la caisse de solidarité représente aujourd'hui l'unique moyen d'aider certaines de ces familles, à condition de le faire dans une certaine transparence et avec des critères clairs afin de garantir la plus grande équité possible. Il faut bien reconnaître que certains parents récalcitrants à payer les frais de scolarité ne sont pas toujours de bonne foi, tandis que d'autres se font un honneur de payer en temps et en heure alors même qu'ils rencontrent de réelles difficultés et qu'ils n'imaginent même pas solliciter de l'aide... jusqu'au jour où ils doivent parfois renoncer à scolariser leur(s) enfant(s) au LFM. Comment identifier ces familles ? Comment leur venir en aide ? Ce serait tout l'intérêt de réunir cette commission tripartite que j'ai appelé de mes vœux. Mais il faudrait pour commencer augmenter les ressources financières de cette caisse. En 2008, ses fonds représentaient six trimestres de fonctionnement moyen, alors qu'aujourd'hui ils n'en représentent plus que trois. J'ai suggéré à M. l'intendant (le DAC) de communiquer autrement en direction des parents lorsque ceux-ci payent les frais de scolarité de leur enfant : plutôt que de proposer une somme unique et évidemment facultative de 6 €, pourquoi ne pas proposer différents montants de participation accompagné d'un petit texte qui expliquerait à quoi sont destinés ces fonds ? Il n'y a aucune raison que les familles les plus aisées ne se montrent pas aussi généreuses que dans d'autres pays où ce type de fonctionnement est intégré dans les mœurs. M. l'intendant s'est en tout cas montré tout à fait réceptif à cette idée. Il ne tient qu'à nous tous d'en imaginer de nouvelles...

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